Témoignages (19)

Publié le par L. S.

 

Témoignage précédent :   Témoignages (18)


 

Mes horizons étaient teintés de mauve

 

(Suite - 3)

                                        Laurence S.

 

 

 

 

Le matin, nous étions levés tôt pour servir les petits déjeuners, parfois dans les deux salles, celle du rez-de-chaussée et dix marches plus haut celle du premier étage, la cuisine étant au sous-sol. Les services du déjeuner et du dîner occupaient nos jours sans répit.                                                                               

Les après-midis nous laissaient toutefois le temps de vagabonder à notre guise. Nous retrouvions alors nos jeunes amis du quartier et j’en profitais pour rejoindre clandestinement Julien, un amour d’adolescent, aux yeux plein de cette douceur qui vous laisse sous le charme et au sourire ravageur qui rend le cœur gonflé de joie et débordant d’amour. Tu n’avais que vingt ans mon pauvre Julien, tu m’as laissée dévastée, avec ma solitude amère et mon amour à ne plus savoir qu’en faire. Parti trop jeune, hélas, d’une blessure mortelle durant ton travail d’apprenti boucher. O mon tendre amour, déjà presque un homme ! En ce jour insipide, tu m’as vu côtoyer l’effondrement. Ton visage d’angelot m’arrachait le cœur, je t’ai trouvé baigné de sang et d’horreur, mais j’ai pu t’embrasser pour la dernière fois. Ce jour tragique où le destin est venu s’abattre sur notre amour  m’a forcée à quitter mes rêves de jeunesse. Sache que j’ai gardé ce douloureux baiser au fond de mon cœur à tout jamais. La vie poursuivait sa course et moi je vivotais, mon chagrin secrètement gardé au fond de mon âme adolescente meurtrie. Avec nos amis, nous avions adhéré à l’association des jocistes, mouvement chrétien qui organisait des concours de chant, montait des  pièces de théâtre... Nous remplissions la salle du cinéma Majestic. Alors que ma sœur Bernadette entonnait l’ « Ave Maria » de Gounod, je l’accompagnais au piano. Une autre fois, nous avions joué une pièce de théâtre où j’avais le rôle principal dans « Marie des gosses ». J’entends encore ce tonnerre d’applaudissements qui me faisait battre le cœur et monter les larmes aux yeux. Notre succès fut tel, qu’il fallut renouveler notre prestation en plusieurs autres séances, accueillies chaque fois avec la même ferveur. Pour la Fête-Dieu, mon grand-père Pierre, sacristain à la grotte, consacrait ce dimanche à confectionner lui-même le reposoir qu’il était coutume de fleurir dans diverses ruelles de la cité mariale. Ces tapis de fleurs de lys, d’orchidées, de roses… émergeant sur la rue étaient une merveille et son travail fleurdelisé à la perfection, conférait à ces œuvres une qualité irréprochable. Sacré grand-père, tu ne sortais jamais sans ta canne et ton panama, ce qui te donnait un style particulier qui n’appartenait qu’à toi. On te repérait de loin. On  t’aimait bien, même si tu nous impressionnais beaucoup quand tes crises d’asthme s’acharnaient à te torturer. Un soir que tu prenais la fraîche, assis sur ta chaise au pied du perron, nous avons vu passer beaucoup de gens qui se rendaient au cirque. J’étais tellement triste de ne pas pouvoir y aller ! Alors que les voisins me chahutaient et se gaussaient de moi, toi de bon cœur, tu m’y avais emmenée, malgré la fatigue d’une journée de travail bien remplie. Notre rue était un lieu de passage très fréquenté qui menait dans un sens vers la rue de la Grotte et dans l’autre, vers le marché et le kiosque des tilleuls où avaient lieu les concerts de chants du pays, ou encore vers les places où se jouaient le cirque et le cinéma en plein air. La « fête des voisins » se faisait une fois par an. C’était très convivial, tous étaient nos amis. Nous partagions un peu de nos vies, surtout les soirs d’été à la fraîche, où chacun avait coutume de  sortir sa chaise sur le trottoir. C’était bon de se savoir entourés surtout pour partager les moments tragiques de la vie qui n’épargne malheureusement personne de ses épreuves. La famille Despiau venait d’en être victime, leur petit Pierre perdant un œil, d’un coup de fusil tiré par un jeune voisin qui pensait s’amuser.    

 

 

(A suivre)

 


Publié dans témoignages

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article