Témoignages (24)
Témoignage précédent : Témoignages (23)
Mes horizons étaient teintés de mauve
(Suite - 8)
Laurence S.
L’après-guerre ayant réglé ses comptes personnels, les démarches de l’Etat français reprenaient le flambeau, menant ses propres enquêtes. Un jour, nous reçûmes un courrier du commissariat nous avisant d’une nouvelle surprenante qui nous laissa sous le choc ; maman recevait un titre indiquant ses actes de bravoure dans la résistance. Personne, même papa, n’était au courant de ces faits. Nous étions à la fois médusés et surpris mais si fiers. Maman, malgré tous les soucis que nous vivions, avait accompli secrètement ces actes, discrètement, avec courage et dignité. C’était courir un grand risque pour elle et nous tous, d’autant plus qu’à la pension, les contrôles d’identité avaient lieu très souvent. Elle me rappela la fois où j’avais servi deux jeunes gens dans une de nos chambres ; c’était en fait un service demandé, parmi d’autres encore, par la résistance. Nous avions caché des juifs sans même le savoir. O Dieu, plus jamais ça, plus jamais, j’en conjure. A vous, les jeunes surtout, souhaitons que vous ne sentiez jamais le goût du sang ou l’odeur de la poudre. Puis, par le calme plus ou moins revenu, ma jeunesse retrouva son ardeur et la vie reprit son cours. L’après-guerre fut une période de renaissance à tous les sens du terme. On parlait de « baby boum ». Bernadette et Pierrot eurent une adorable petite Marie-Françoise surnommée Mamy, adulée par toute la famille, les amis et pèlerins, émerveillés de la voir aussi vive et enjouée, disant tous que c’était le plus beau sourire de la maison. Quel beau cadeau que nous offre la vie. J’étais sous le charme de cet amour d’enfant dont je fus la marraine. Mado et Moïse eurent à leur tour trois enfants. Quant à moi, je ressentais de l’amertume à côtoyer ma solitude sur le dédale de ma vie. Les dimanches après-midi nous conduisaient au lac de Lourdes. Nous aimions nous retrouver dans cet endroit féerique et luxurieux, tant par son calme que par la beauté du site. Quelques galants nous proposaient souvent une promenade en barque. J’avais eu quelques amourettes passagères, mais le cœur n’y était pas, malgré le charme des guinguettes, les mélodies de l’époque qui allégeaient mon âme cicatricielle ou les promenades doucereuses des flâneries sur le front de lac. Je rêvais de voyages, de soleil. Je m’évadais dans des lectures romanesques, j’étais Jane Eyre, Emma Bovary ou plus tard Lara dans le docteur Jivago. Je vivais mes rêves dans un romantisme exacerbé. Bien plus tard, avec toi, mon amour, j’irais revoir trois fois ce film. Nous allions souvent au cinéma suivi d’une soupe au fromage dégustée au petit bar du coin, comme cela était coutume dans les années soixante. Un jour, je décidais d’apprendre à conduire. Après plusieurs heures d’apprentissage, vint le jour de l’examen. J’avais moins peur que lors de mon certificat d’études, pourtant acquis haut la main. Mais j’aurais dû être plus lucide. Pourtant, du premier coup ! J’eus mon permis du premier coup, mais je n’étais pas réellement prête à conduire. Mes beaux-frères riaient de moi, leur machisme réveillant leur gouaille disant que j’avais sûrement tapé dans l’œil de l’inspecteur. Possible, car après quelques essais catastrophiques, découragée par Moïse et Pierrot, mon permis, rangé dans un tiroir, devint une relique. Par la suite, j’achetais un vélo solex. Un matin, je fus morigénée par mon patron sur le lieu de mon travail, contestant la vitesse à laquelle je roulais, vexé sans doute car je l’avais doublé. Il avait raison, je roulais dangereusement, mais je me suis vite calmée. Avec ces engins, le risque est trop grand. Quelques jours plus tard, je ratais un virage un peu glissant… égratignures, bosse sur le front, mal au dos et bras endolori. J’ai dû traîner la mobylette jusqu’à la maison, tant bien que mal, tout cela m’ayant servi de leçon. La marche à pied s’avérait s’accorder davantage avec mes compétences. Je n’en dirais pas plus, évitant plus de moqueries.
(A suivre)