Témoignages (26)
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Mes horizons étaient teintés de mauve
(Suite - 10)
Laurence S.
Pierrot travaillait désormais à l’arsenal de Tarbes et Bernadette faisait quelques travaux de couture, dont c’était le métier. Maman était subitement devenue vieille, usée par les vicissitudes d’une existence aux stigmates indélébiles. Elle flottait à la dérive, le cimetière et la Grotte étant ses seules promenades. Elle ne pouvait exprimer ses douleurs, se trouvant dans l’impossibilité de faire le deuil de ces séparations douloureuses et successives qu’elle n’arrivait pas à croire. Elle disait que c’était injuste et ne comprenait pas pourquoi le Bon Dieu lui envoyait des épreuves aussi éprouvantes. Les enfants lui redonnaient un peu de baume au cœur, l’obligeant à ne pas sombrer dans la dépression. Quant à moi, j’avais besoin de travailler pour aider la famille, besoin de me sentir utile en apportant ma contribution, besoin d’amour, d’affection, de tendresse. J’avais tant besoin de tout. L’ambiance était lourde et le ciel souvent gris, malgré les jours de beau. J’effectuais quelques petits boulots saisonniers. Mon salaire me permettait en partie de m’émanciper quelque peu. Suivant la mode des années soixante, je portais des tailleurs « Chanel » que ma sœur me confectionnait à l’aide de patrons de couture et de sa machine « Singer » qu’elle maîtrisait à la perfection. Mes cheveux décolorés, je portais le chignon façon « Grace Kelly ». Les talons aiguilles et les bas résille venaient compléter ma tenue. J’ai toujours aimé la mode, les couleurs fraîches de bleu, de vert, d’orange… Tout me convenait. Je suis toujours restée très coquette, très attentive à mes toilettes et pointilleuse sur ma présentation. J’adorais me maquiller, je me faisais l’œil de biche d’un trait noir à l’eye-liner, mon rouge à lèvres était toujours assorti à mon vernis à ongles. Les parfums Miss Dior ou Chanel n°5 embaumaient l’espace. Les copains me charriaient, m’appelant Lollobrigida, ce qui faisait rire Jeannette. Lorsque je rentrais du travail, je ne manquais jamais de passer par la rue du Bourg où cette dernière tenait un magasin d’objets de piété. J’aimais m’attarder un peu pour causer quelques minutes. Elle avait toujours le mot pour rire, cela me faisait tant de bien. Ce jour-là, je portais mon tailleur orange et mes lèvres brillaient de ce même orangé me rendant fort séduisante. Par cette fin de journée estivale où la chaleur était caniculaire, mes forces diminuant dans cette côte raide de la rue du Bourg, je m’approchais lentement vers le magasin. La voyant en bonne compagnie, deux jeunes hommes discutant avec elle, je reconnus François, son voisin. Mais qui était ce jeune inconnu à l’allure princière qui se trouvait là. En m’approchant, j’eus la sensation étrange de l’avoir déjà rencontré et pourtant je ne le connaissais pas. Dans une autre vie peut-être, nous étions-nous connus ? Bizarrement, je ressentais une attirance indépendante de mon être, agissant comme un aimant sur nos corps magnétiques. Alors, il y eut ce moment, inoubliable instant magique où l’amour refait soudainement surface au moment où l’on s’y attend le moins. J’avais l’impression de renaître, dans la magnificence d’un monde nouveau où l’eau reprend sa source. Un jour de plein soleil, où les tourments s’apaisent, estompant le voile posé sur mon cœur, telle une brume légèrement bleutée imprégnant l’atmosphère s’évaporant peu à peu dans la douceur de l’air. Je le vis ! Il était là. Il me regardait. Il y avait un tel éclat dans ses yeux. J’ai cru d’abord qu’il me fut impossible d’en être la cause. Mais son regard insistant et le voyant me sourire, je compris que ma vision n’était pas erratique. Il s’avança et avant même que je pus réagir je l’entendis me dire bonjour ! Un frisson parcouru tout mon être. Cette voix chaude et envoûtante me laissait hagarde. J’aurais tant voulu être à la hauteur, faire bonne impression. Il me tendit la main, et me dit : « Je sais qui vous êtes ! »
(A suivre)