Témoignages (28)

Publié le par L. S.

 

 

 

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Mes horizons étaient teintés de mauve

 

(Suite - 12)

                                        Laurence S.

 

Je ne sais à partir de quand j’ai réellement pris conscience que je l’aimais si fort. Il me semble que cet amour existait depuis toujours. J’avais ma famille, j’étais autonome, il  m’était facile de me rendre disponible. Pour lui, c’était plus compliqué. Nos rendez-vous, fragilisés par la peur du secret révélé, nous invitaient à la discrétion, soutenue par la complicité d’amis proches et fidèles. Son épouse n’aimant pas la campagne, nous y partions souvent. Dans la maison du Gers, héritage de ses parents, nous aimions rêver au coin du feu, blottis l’un contre l’autre, nos corps attirés par une force irrésistible et mystérieuse. Nous profitions de ces instants de sérénité pour échanger nos idées et nos vies respectives. Il me parlait de ses enfants qu’il chérissait plus que tout, rien sur sa femme. Moi, je ne l’importunais jamais sur ce sujet-là. Il aimait transmettre son savoir, toujours très rassurant et réconfortant, il disait ; « être en paix avec soi-même est le plus sûr moyen de l’être avec autrui.» Nous étions en paix, ne faisant de tort à personne. Lorsque nous devions supporter une trop longue séparation, il m’écrivait des lettres enflammées. Je me souviens de notre première promenade sur la route des cols, sous le ciel étincelant des belles Pyrénées. Nous arrivions dans un petit village, l’air frais atténuant la chaleur estivale. A la terrasse d’un café, le paysage grandiose s’imposait à nous, le calme et la douceur de ce lieu estompant nos tourments et renforçant notre lien. Puisque le destin avait voulu que nos routes se croisent, nous décidâmes, à cet instant, de poursuivre ensemble le chemin de nos lendemains. Quelques mois seulement après notre rencontre, en rentrant d’un weekend, passant par Madiran, je proposais de faire une petite halte chez Mimi, une amie d’enfance. Mais le retour me trouva nauséeuse et il fallut s’arrêter plusieurs fois. Il me réconfortait, malheureux de me voir ainsi, il m’entourait d’affection, pensant que l’épreuve d’une longue et douloureuse séparation prochaine était la cause de ce malaise. Nous ne savions pas encore que cet état scandait les signes avant-coureurs d’une grossesse. Lorsque je le compris, mon désarroi fut grand. Affronter le pire, prendre une décision, et laquelle ? Notre situation compliquée ne laissait aucune place à ce projet, ainsi que les mœurs de l’époque. Je pensais à maman, ayant eu son lot de misères, elle pourrait en mourir cette fois. Si elle savait ! O mon Dieu, quel misérabilisme ! Je vivais une tragédie. J’étais sur terre pour perpétuer la vie, surtout pas la mort ! Un enfant ! J’en avais tant vus rire et courir dans mes rêves. Affronter l’épreuve de le supprimer au risque d’en mourir aussi ! Il y a dans la vie des décisions impossibles à prendre, car au confluent de deux routes barrées, on fonce toujours droit devant coûte que coûte. Alors j’y ai foncé et je me suis plantée ! Dans ces moments de déréliction où tout semble vous lâcher, on cherche une main qui vous aide à passer le mur en à-pic du désespoir. J’ai fait agir quelqu’un de ma connaissance, elle m’a logée, mais mon état critique l’inquiétait, car elle ne savait comment cesser l’hémorragie suivie d’une forte fièvre qui me dévastait. Je parlais du couchant se perdant dans la mer dans un délire impressionnant. Elle se résolut à aller chercher le docteur, qui fit le maximum sans trop se prononcer. La fièvre tomba et je me rétablis. La mine contrite, je rentrais chez moi, confiant mon secret à ma sœur. Je n’aimais plus la vie et son œil vipérin. J’étais vouée aux gémonies. Cette mue de mon être était-elle nécessaire pour me rendre enfin adulte me sortant de ce romantisme fallacieux? J’étais lasse de passer sans cesse de l’ombre à la lumière. La pestilence du souvenir me rendait sombre et maussade. Comment dire l’ineffable de cet acte comminatoire dont je sentais sans cesse la putrescence de la mort, parasitant ma chair encore endolorie. O, mon amour, j’avais tant besoin de toi !

 

 

(A suivre)

 


 


Publié dans témoignages

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