Témoignages (31)

Publié le par L. S.

 

 

 

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Mes horizons étaient teintés de mauve

 

(Suite - 15)

                                        Laurence S.

 

  

J’étais remplie de joie lorsque je savais que mon cher et tendre viendrait me rendre visite, se débrouillant comme il le pouvait, mais nos rencontres s’espaçaient. Lui aussi avait ses soucis de santé. Se séparer, se retrouver, se téléphoner, étayer quelques écrits. Je lui envoyais quelques-uns de mes poèmes ou ceux de Martine qui nous émouvaient à en pleurer. Lorsqu’on prend de l’âge, combien ces petits bonheurs peuvent nous paraître si importants. On vit un peu sous une forme de dépression liée à cet instant où l’on prend conscience de sa propre finitude. La passion que nous avions l’un envers l’autre était aussi légère que l’étaient nos vingt ans, mais les forces s’amenuisent et le courage nous manque. Le charme n’est plus le même. Je voudrais pouvoir effacer les tâches sur cette peau fripée, monter les escaliers un pied l’un devant l’autre, mettre mes chaussures sans ressentir de douleur… Puis, le cancer est venu finir de ronger mes derniers atouts et même si j’ai pu le combattre, j’en suis sortie littéralement épuisée, affaiblie, émotive, éprouvée de solitude et d’ennui. C’est terrible d’être vieux dans le regard des autres, déroulant le tapis noir de la pitié. La tristesse est rêveuse et je rêve souvent. Le présent est si monotone, j’aime à revivre les bons moments du passé. Les souvenirs sont ma seule richesse en ce monde où tout est statique. Maintenant, me voilà à faire le bilan, m’efforçant à me résigner au grand départ. Quitter ce monde en laissant derrière moi cette vie, avec ses joies, ses peines, mais aussi beaucoup de courage et la prétention de l’avoir vécue du mieux possible. En écrivant ces lignes, ma bague glisse et se retourne, trop large à mon doigt érodé par l’âge. Ce bijou, pour lequel je ne prêtais que peu d’attention, par habitude sans doute, voilà qu’il me ramenait de nouveau en arrière. Je revois Rodolphe chargé de tant d’amour et d’émotion, sortir de la petite boutique de cette immense place rouge à Moscou, et moi, attendant patiemment au bas des marches qu’il eut fini ses emplettes. De son air délicat, il me tendit la mystérieuse boîte colorée qui cachait l’émeraude dans son écrin de velours noir. Le seul bijou de valeur, jamais reçu auparavant, seul trésor porté sur moi, une bague en or sertie d’une pierre qu’il disait semblable à l’iris de mes yeux. Il voulait ainsi, sceller notre amour pour toujours. Ce rappel soudain à cet événement, rendait ce petit objet attachant et précieux comme il ne l’avait jamais été jusque là. Un rayon de soleil caressant à l’instant ma main, la fait briller de mille feux et me trouble d’émotion, chargeant mon coeur de son éclat. C’était hier, temps si lointain et si proche pourtant. Le temps de nos escapades dans des endroits inexplorés, avec le sentiment de posséder un site sacré unique à nos yeux, semblant nous appartenir. Seule faille à notre bonheur, les enfants me manquaient et je regrettais de ne pas partager tout cela avec eux qui s’émerveillaient de si peu. Rodolphe m’implorait souvent de m’efforcer à penser davantage à moi. J’ai toujours eu du mal à agir ainsi, j’avais la sensation de me renier, me sentant égoïste avec le remords de ne pas accomplir mon devoir de « mère » à l’égard de ma chère Mado. A quoi bon vivre, sinon pour être utile, sans quoi la vie n’aurait pas de sens. Elle en a pour celui qu’on lui attribue. J’ai toujours puisé mon énergie dans l’acte d’amour au sens noble du terme. Et dans son élan, tel un boomerang qui vous revient, on ressent alors la sensation délicieuse d’être aimée en retour. Quand nous partions sur les chemins, nous étions toutefois très enthousiastes de se retrouver tous les deux. Nous ne parlions jamais de ce bébé que nous n’avions pas eu, sachant que la douleur était réciproquement partagée. Notre amour n’aurait su s’entacher de ces pensées mortifères qui scrutent le bonheur à contre-jour.

 

   

 

(A suivre)

 


 


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