Témoignages (33)
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Mes horizons étaient teintés de mauve
(Suite - 17)
Laurence S.
Un jour, alors qu’un jeune voisin le chambrait sur la politique, il lui dit; « Le communisme est avant tout une affaire de partage. » Le jeune effronté lui répondit; « Alors, vous allez devoir partager votre belle maison avec moi ! » Avec son calme et sa constance habituelle, il reprit d’un air ironique; « Si je milite couillon, c’est pour que, toi aussi, tu puisses te payer un jour ta maison ! »
Ses amis du parti étaient de bons camarades. Nous avions partagé une soirée à Saint-Savin dans un restaurant de renommée gastronomique. A l’heure de l’apéritif, attirée par le piano qui me tentait, me narguant de si près, j’avais discrètement glissé mes doigts sur le clavier sur l’air de « Griserie » qui envahissait l’espace, laissant ce petit monde complètement subjugué. Lui, à la fois surpris et rempli d’émotion en découvrant pour la première fois mes talents de « virtuose » y repensait souvent ; « Quelle classe, quelle aura, assise à ce piano, époustouflante d’élégance dans ton tailleur en tweed ! » Je m’en souviens comme si c’était hier. C’est Bernadette qui me l’avait confectionné, suite à une copie que j’avais frauduleusement esquissée au crayon, devant la vitrine du magasin « Fémina » à Tarbes, comme j’avais l’habitude de le faire quand j’y reluquais un coup de cœur. J’aimais plaire. Le voir sous le charme de mon chic me ravissait.
Avec le parti, ils organisaient des voyages France-U.R.S.S. A ma retraite, accompagnée de Marthe, une de mes amies et collègue de travail, nous y partîmes. Le groupe faisant partie du voyage était fort sympathique et nous avions vite lié connaissance avec certains. Après trois heures de vol depuis Paris, nous atterrissions dans un pays gigantesque qui avait vu s’accumuler tant de souffrances et de privations. Tant de problèmes difficiles à dénouer, avec toutefois l’espoir d’un changement qui semblait tout récemment faire surface. Après d’énormes prises de conscience des peuples, la joie revenait timidement dans les yeux des russes avides de dialogues constructifs, de liberté et de justice, très ouverts, riches de complaisance et sans la moindre faille d’irrespectabilité envers notre groupe de français, comme j’avais pu l’entendre de certaines bouches malintentionnées. Lors d’une soirée, nous avions été dans un cabaret accompagnés de notre jeune guide qui s’appelait « Lara », comme dans la chanson. Elle nous disait ; « Nous, les jeunes, aimerions voir tous les pays du monde jouir de bien-être et de prospérité ». Je me souviens que nous avions dansé en compagnie de beaux russes et à la fin de la soirée, notre groupe avait entonné « Montagnes Pyrénées » chant clôturé par les applaudissements enthousiastes de ce beau monde. Dans ces terres étrangères à la vie si dure, terres si douces dans le cœur des Russes, nous avions été heureux. Les visites de Leningrad et de Moscou furent suivies d’un retour nostalgique vers notre Patrie après ce séjour hors du temps. Ce fut le lieu le plus lointain que j’ai eu fréquenté, mais aussi le plus troublant de part ce peuple si attachant en somme. Nous étions soulagés par la suite d’apprendre que la politique répressive de leur parti unique était bel et bien enterrée et que leur vie cauchemardesque, de ce fait, s’en porterait mieux. A notre retour, nous avions échangé quelques adresses, revoyant souvent monsieur et madame Allard, qui tenaient une boutique de vêtements pour homme au géant casino de Laloubère. Comme à l’accoutumée, je regagnais la maison chargée de cadeaux. Une montre, des broches artisanales peintes à la main, des poupées russes, des châles aux imprimés très colorés et des souvenirs plein la tête.
(A suivre)