Témoignages (35)

Publié le par L. S.

 

 

 

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Mes horizons étaient teintés de mauve

 

(Suite - 19)

                                        Laurence S.

 

  Lorsque le cancer m’a assaillie de son syndrome étourdissant et nauséeux, j’ai eu l’envie de quitter ce corps ravagé au plus profond de mes entrailles. Mais l’amour de la vie et mes prières ont eu raison de ce combat face à l’angoisse de la mort. Alors mon amour, aujourd’hui, c’est pour toi que je prie. Il est loisible de croire que ton âme puisse être sauvée. La nécessité miraculeuse a voulu que, cette nuit,  je rêve de toi. Mais, est-ce bien un rêve ? Ou bien es-tu venu tout simplement, de ton souffle posthume, me dire que tu es là ? Je me suis réveillée, fredonnant cette chanson qui était la nôtre ; « Les feuilles mortes ». Moi qui n’ai plus beaucoup de mémoire, je fredonnais son texte par cœur ! Un instant de félicité ! Il est un temps où le futur ne se conjugue plus et le passé rend nostalgique car il n’est plus. Il nous reste le présent, ici et maintenant. Ce quotidien, banal et vide, que je consume à présent sans toi avec qui j’osais confier toutes mes joies et mes peines. Ton regard si bienveillant ne verra pas mon visage torturé de chagrin et vieilli par les hivers qui me glacent le sang. Je me maquille peu, juste à peine les yeux et une faible dose de ma crème hydratante et basta ... advienne que pourra ! En relisant ta dernière lettre, où tu me vantais ton amour et ta fidélité pour moi,  j’ai trouvé ceci et je pleure :

« Les arbres mettent trop de temps à refleurir

Et les fleurs sur la terre sont venues pour mourir

J’ai si peur de souffrir et mon cœur est pressé

Laissez-moi donc finir ma tâche commencée.

Et laissez-moi m’asseoir à l’ombre du jardin

Un coussin sous mes pieds, le front contre ma main. »

Tu écrivais et tu parlais si bien. Ta supériorité intellectuelle et ton charme envoûtant en imposaient face à moi qui me sentais dominée. Tu m’aimais douce et soumise et j’ai passionnément aimé la vie à tes côtés.

J’ai relu cette lettre. Tu avais perdu ta femme. Seul, tu vivotais dans ta maison de campagne où tes enfants venaient en vacances dans ton petit village gersois cher à mon coeur, où bruisse le vent dans tes pommiers quand la Baïse chante ses airs pyrénéens. Du plus loin que je m’en souvienne, je retrouve ton visage, ta voix et tes mains. Tes longues mains si douces sur mon corps captif qui ne pourra plus jamais s’attendrir de leurs caresses. Je contemple le ciel nocturne et cette étoile lointaine. Brille-t-elle pour toi ? Pour moi ? L’amour n’est pas fini, nous le retrouverons dans l’éternité. Mon alter égo, souffle de ma vie, quand pourras-tu enterrer mes regrets ? Viendras-tu me chercher au début de l’aurore ? Une envie d’évasion roborative me transporte soudain à la conquête d’un décor mirifique où se mêlent bonheur et nostalgie, animée d’un vent doucereux qui se délecte sur les jacarandas en fleur, bousculant la routine de ce quotidien. Dans les plaines oléicoles bordées de cyprès, sur la route des vignes longeant les coteaux éclaboussés de soleil, sur les chemins forestiers aux senteurs de tourbière pour atteindre le bord des criques sauvages et farouches, plongeant sur la mer ondulée de pépites cristallines. Partout où je vais, tu es là, ma mémoire ne connaîtra jamais le renoncement de « nous ». Elle a cette obsession à te garder vivant, ton amour glissant incessamment en moi comme l’eau des fontaines au cœur de ces chers petits villages de Provence, où nous nous sommes tant aimés. A l’acmé de ma vie, je voudrais m’endormir en gardant à l’esprit l’inoubliable beauté de ce monde paradisiaque, là où le ciel épouse le bleu du front de mer, là où le crépuscule s’amorce à l’horizon en se baignant de mauve. 

 

(A suivre)

 


 


Publié dans témoignages

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