Témoignages (40)
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Depuis… j’ai peur de l’orage…
Cet événement se passait au Portugal, dans mon village de Pevidém, près de Guimarens. J’avais environ treize ans.
Le patron d’une grande usine textile, M. B., très attaché au maintien des traditions culturelles avait créé un groupe folklorique renommé dont je faisais partie.
Nous étions une quarantaine de danseurs auxquels s’ajoutaient des musiciens. Ce groupe existe toujours et a acquis une certaine célébrité. Il se produisait déjà dans diverses provinces mais il a étendu ses tournées sur un plan international.
M. B. était à la fois responsable administratif, financier, directeur artistique ; il assurait de lourdes charges et c’est grâce à lui que nous disposions de nos équipements, que nous pouvions faire face aux frais de déplacements et mettre en place l’organisation de nos activités.
Nous produisant sur plusieurs scènes au cours de différents événements nous étions en compétition avec des troupes semblables et cherchions à obtenir les meilleurs prix. Nous connaissions tout le répertoire des danses folkloriques nationales : vira, velho, carra verde bareira das palmas…
Grâce à M. B. nous possédions toute une panoplie de riches costumes régionaux dans la plus pure tradition de notre région.
Les musiciens aussi étaient dotés des meilleurs instruments : accordéon, guitare, triangle, flûte, castagnettes…
Il avait très chaud pendant cette journée de septembre. L’atmosphère de cette soirée était étouffante. De gros nuages noirs s’étaient amoncelés à l’horizon tandis qu’un vent brûlant balayait la campagne desséchée. Des éclairs striaient le ciel qui s’était dangereusement obscurci et les coups de tonnerre retentissaient de plus en plus fort en se rapprochant.
On voyait cependant que la pluie bienfaisante qui aurait pu rafraîchir ce lourd climat ne viendrait pas. C’était un orage sec tel qu’il s’en produit parfois en été.
Comme tous les mercredis soirs réunis sur une terrasse très exposée, nous répétions le spectacle de danses que nous devions assurer le dimanche suivant. Néanmoins, gênés et effrayés par les grondements de plus en plus répétés du tonnerre et aveuglés par un feu d’artifice d’éclairs nous sursautions fréquemment et interrompions le rythme de nos danses en rattrapant maladroitement des figures que nous exécutions habituellement avec tant d’application.
M. B. qui surveillait notre ballet et en réglait minutieusement les figures se montrait agacé et se fâchait de notre manque de concentration.
Cette fois, il éleva plus fort la voix car les danseurs étaient de plus en plus distraits et même apeurés par le déchaînement des forces naturelles dont le bruit retentissant couvrait la musique. L’un des danseurs lui répondit en justifiant notre inattention et nos maladresses.
Alors, surgissant du fond de la scène, il s’élança sur la piste et clama d’une voix forte en prenant le ciel à témoin : « Là-haut, c’est lui qui commande… ici, c’est MOI… ». Il avait à peine terminé sa phrase que le tonnerre se déchaîna violemment accompagné d’éclairs d’une fulgurance jamais égalée. Dans un vacarme assourdissant, une gerbe de feu illumina la terrasse !
La foudre venait de tomber, traversant le corps de notre malheureux patron, le laissant sur le sol, tétanisé, littéralement calciné, de la fumée s’échappant encore de ses narines et de ses oreilles !
Personne n’osait s’approcher de ce corps inerte… Nous restions là, hébétés, paralysés par la peur ne réalisant pas ce qui venait de se passer dans une fraction de seconde.
Croyant que M. B. venait d’attirer la malédiction du ciel en lançant ce défi.
Depuis ce temps-là, j’ai gardé une peur panique de l’orage en revoyant cette scène qu’aucun de nous n’a oubliée.