Un autre regard sur... Jean-Jacques ROUSSEAU (1)
Un autre regard sur... Jean-Jacques ROUSSEAU
par Henri GUILLEMIN
Préambule :
La découverte d'Henri Guillemin me dessille, m'ouvre les yeux…
Henri Guillemin me rend sensible l'importance d'un philosophe particulier, un philosophe défendant les pauvres : ROUSSEAU, littéralement MARTYRISÉ PAR d'autres philosophes, les Encyclopédistes des prétendues "Lumières", avec à leur tête, le chef des philosophes des riches : VOLTAIRE.
Et c'est pour vous parler d'un nouveau document que je rédige ce billet : pendant mes promenades dans les rayons de librairies, j'ai croisé un livre de Rousseau préfacé par... Guillemin ! J'avais déjà ce livre, "Les rêveries d'un promeneur solitaire", mais… grâce à Guillemin, je découvre sa grande importance en fait, et je me suis mis à le lire. Et c'est très intéressant : pauvre grand homme !
Et comme tout ça est actuel, très actuel...
Bonne lecture. Étienne Chouard.
Henri Guillemin, né en 1903 à Mâcon et mort en 1992 en Suissel est un historien, critique littéraire, conférencier reconnu pour ses talents de conteur historique et pour ses travaux sur les grands personnages de l’histoire de France.
Il est aujourd'hui encore critiqué ou admiré pour ses révélations scabreuses sur certaines grandes personnalités (notamment Napoléon Bonaparte, Philippe Pétain, jeanne d’Arc, jean-Jacques Rousseau… ) et certaines grandes affaires de l'histoire française (l’Affaire Dreyfus…).
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Préface d'Henri Guillemin au livre de Jean-Jacques Rousseau,
"Les rêveries du promeneur solitaire"(1778, posthume et inachevé)
1
En février-mars 1776, Jean-Jacques Rousseau, soixante-quatre ans, a connu les pires heures de sa vie. Il avait voulu déposer le manuscrit de ses Dialogues sur le maître-autel de Notre-Dame de Paris. (À Notre-Dame, aujourd'hui, dans cette pénombre où se bousculent les souvenirs, songeons-nous encore au petit homme qui se glissa là, le 24 février 1776, au début de l'après-midi, à qui une grille barra le passage lorsqu'il essaya de pénétrer dans le chœur, et qui se sauva, effaré ?) Il a cru que Dieu lui-même le rejetait. Et il y a eu cette scène pathétique et burlesque de « M. Rousseau », dans la rue, en plein Paris, distribuant aux passants son Appel à tout Français aimant encore la Justice et la Vérité.
Ce demi-fou, ce camelot hagard, c'est celui qui, la même année, à l'automne, commencera ses Rêveries, où figurent, dès la seconde page, les mots que voici : « Un plein calme est rétabli dans mon cœur. » Ce qui l'a guéri, c'est un malheur de plus. Mme de Créqui, vieille amie fidèle, s'est détournée de lui. « Me voici donc seul sur la terre... ». Mais ce nouveau coup du sort, au lieu de mettre le comble à sa frénésie, l'a sauvé. Jean-Jacques accepte. Il comprend maintenant que c'était cela même qu'attendait de lui ce Quelqu'un vers lequel il marche.
Nous tâcherons, tout à l'heure, de le suivre dans son aventure intérieure. Regardons-le, pour l'instant, du dehors, et dans la condition qu'on lui a faite.
« Trames » dont il se sent « enveloppé » ; « aveugle fureur » contre lui de « toute une génération » ; « les traîtres m'enlaçaient en silence » ; « ténèbres qu'on renforçait sans relâche autour de moi » ; « traîné dans la fange sans jamais savoir pourquoi »; « la ligue est universelle », etc. Il délire, n'est-ce pas ? Le voici, lamentablement, devant nous, et en pleine crise, le persécuté imaginaire, en proie à sa « folie obsidionale ». Il est de bon ton, à ce sujet, de hocher la tête et de murmurer : « Quel dommage ! Un esprit à ce point distingué, et dans lequel s'est ouverte cette faille ! Détournons nos regards de ce trop pénible spectacle... »
Parmi ceux qui nous enseignent, en ce point, l'usage de la compassion délicate, celle qui préfère passer bien vite et parler d'autre chose, il en est, j'en suis persuadé, qui tiennent de bonne foi Jean-Jacques pour un malade mental. (Son infirmité physiologique, vous savez bien ? L'urée dans le sang. Les contrecoups, sur son psychisme, de ce déplorable état corporel.) D'autres, en revanche, sont mieux renseignés. Et s'ils insistent sur l'urgence de quitter ce triste sujet, c'est qu'il ne leur convient point, pour des raisons de parti, que l'affaire du « persécuté » Rousseau soit examinée de trop près, et que se trouvent mis au jour les agissements de certains, vénérés et intouchables.
Il y a plus de vingt ans maintenant que je me répète, sur Jean-Jacques et les encyclopédistes, et j'ai pu mesurer la puissance de l'obstacle. L'irritation étant malséante, et, au surplus, révélatrice, c'est au sourire que l'on recourt, avec ce discret haussement d'épaules par lequel l'homme bien élevé répond aux obsessions de la manie. Car c'est manie, véritablement, que de mettre en cause, encore et toujours, à propos du « citoyen » dont le désordre cérébral crève les yeux, d'aussi grands hommes que Voltaire, d'Alembert et Diderot, occupés à d'autres besognes, et un peu plus sérieuses, on peut le croire, que celle d'importuner ce malheureux et de lui créer des ennuis. Je ne me lasserai pas.
Certes, les légendes ont la vie dure, surtout les légendes protectrices, tout exprès construites pour dissimuler des vérités
importunes. Elles n'en finissent pas moins par tomber quand on y met le soin nécessaire. Car les textes sont là, et les faits.
(A suivre)