Un autre regard sur... Jean-Jacques ROUSSEAU (2)

Publié le par J. C.

 

 

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Un autre regard sur... Jean-Jacques ROUSSEAU

 

                                                     par Henri GUILLEMIN

 

 

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Préface d'Henri Guillemin au livre de Jean-Jacques Rousseau,
"Les rêveries du promeneur solitaire"
(1778, posthume et inachevé)


 

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Cette « fange » où Jean-Jacques prétend qu'on le traîne, mais nous y piétinons, mais elle clapote sous nos pieds, quand nous entrons dans la lecture du Sentiment des Citoyens, de Voltaire, ou de la Correspondance littéraire, de Grimm, ou des Tablettes de Diderot. Nous y lisons, en toutes lettres, que Rousseau est le fils d'un assassin, qu'il a jeté ses enfants à la rue, qu'il a fait périr de douleur la mère de sa maîtresse, qu'il est pourri de vérole, et que l'on possède sur lui des détails qu'on rougirait de reproduire. « En vérité, cet homme est un monstre ! » s'écrie Denis Diderot, la main sur la conscience.

« Aveugle fureur » ? Jean-Jacques lui-même ne croit pas si bien dire. Il ignore tout du travail qu'a conduit Voltaire, à Genève, pour qu'on « punisse capitalement », en sa personne, un « vil séditieux » ; et il n'a pas lu la lettre du même Voltaire (13 avril 1763) évoquant, devant d'Argental, cet échafaud, en place de Grève, où l'auteur de La Pucelle verrait avec délectation monter celui de L'Émile. Des « traîtres l'enlacent en silence » ? Langage classique de l'aliéné. Mais qui se change en constat lorsque l'enquêteur dénude, sous leur camouflage, les comportements de Diderot dans les drames de l'Ermitage et ceux de d'Alembert dans l'affaire de l'Exposé succinct.

Et quand à ces « ténèbres » que « renforceraient » autour de lui des méchants sans visage (autrement dit, bien sûr, les fantômes de sa déraison), l'histoire enregistre aujourd'hui les précautions prises par « les frères », comme disait Arouet, pour que leurs opérations restassent protégées par des épaisseurs de nuit. Rousseau n'apprendra jamais que le Sentiment des Citoyens est l'œuvre de Voltaire ; il ne connaîtra jamais l'existence de la Correspondance littéraire ; Diderot proteste qu'il le chérit tandis qu'il s'acharne à le déshonorer et d'Alembert affecte à son égard la sympathie au moment où il creuse une sape sous ses pas. Voltaire, d'ailleurs, quand il parle à voix basse, est explicite à souhait sur sa propre méthode, et il apprend à d'Alembert la tactique (7 mai 1761) : « Frappez, et cachez votre main. » « Les philosophes, dit-il encore (14 août 1767), doivent être comme les petits enfants ; quand ceux-ci ont fait quelque malice, ce n'est jamais eux, c'est le chat. » Le « chat » s'appellera donc Vernes, pour le Sentiment des Citoyens, et Ximénès pour les Lettres sur la Nouvelle Héloïse. Écoutons bien la leçon du maître. C'est Voltaire, toujours, passant à d'Alembert les consignes : que l'ennemi « sente les coups sans savoir de quel côté ils viennent » (25 février 1758) ; que « cent mains invisibles » le lapident et le déchirent, mais veillons à ce qu'il ne puisse, « en expirant, nommer celui qui l'assomme » (26 décembre 1764).

Et maintenant Jean-Jacques, au Livre XII de ses Confessions : « Je sens les atteintes des coups /.../ mais je ne puis voir la main qui les dirige. »

Du travail bien mené, comme on voit.

 


(A suivre)

 



 

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