Un autre regard sur... Jean-Jacques ROUSSEAU (3)

Publié le par J. C.

 

 

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Un autre regard sur... Jean-Jacques ROUSSEAU

 

                                                     par Henri GUILLEMIN

 

 

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Préface d'Henri Guillemin au livre de Jean-Jacques Rousseau,
"Les rêveries du promeneur solitaire"
(1778, posthume et inachevé)


 

3



Mais enfin, pourquoi ? Qu'est-ce qu'ils ont donc, les encyclopédistes, contre Rousseau ? Que leur a-t-il fait ? Cette grande haine a bien une cause. Cause, c'est le mot. La « secte » — l'expression est de Robespierre — a une cause, en effet; elle milite pour une cause. « Vous croyez vraiment, a demandé, en riant, à Voltaire le président Hénault, vous vous imaginez tout de bon que vous allez « détruire le christianisme » ? » Et Voltaire a répondu, d'un trait : « C'est ce que nous verrons » (20 juin 1760). Et il a ajouté, un mois plus tard (24 juillet 1760): « Serait-il possible que cinq ou six hommes de mérite, qui s'entendront, ne réussissent pas, après les expériences que nous avons eues de douze faquins [ce sont les apôtres] qui ont réussi ? »


L'Encyclopédie a une intention, qui est sa raison d'être. L'Encyclopédie est une machine de guerre. L'Encyclopédie a pour objet premier inavouable, à sa date, mais essentiel, mais déterminant — l'extirpation du christianisme. Les philosophes considèrent la religion du « Pendu » (c'est Jésus-Christ, dans l'idiome de Voltaire) non pas seulement comme une sottise mais comme un malheur pour l'humanité. Le christianisme, c'est l'assombrissement de la vie. La vie est faite pour jouir, et le christianisme y gâche tout. D'où la ruée « philosophique ». « Nous sommes à la veille d'une grande révolution de l'esprit humain, écrit à Diderot un Voltaire majestueux, et nous vous en aurons, Monsieur, la principale obligation. » Pas de méprise, attention! sur le vocabulaire de Voltaire. Pas de contresens. « Révolution », pour lui, est un terme qui n'a rien à voir avec ce que sera quatre-vingt-neuf et, encore moins, quatre-vingt-treize. Voltaire est du côté des nantis. Voltaire appartient (comme d'Holbach, comme Helvetius) à la classe entretenue, et qui entend bien rester telle. Que l'on ne touche pas, surtout, à l'ordre social ! Que la plèbe demeure à sa place, dans sa servitude nourrissante aux manieurs d'argent. Le peuple est fait pour travailler au profit des oisifs. Tout ce que Voltaire demande à la « populace », c'est le silence obéissant des esclaves. « Révolution », dans son dictionnaire, c'est affranchissement spirituel. Non des pauvres, cela va sans dire ; il est bon, au contraire, il est indispensable, même, que les prolétaires continuent d'absorber les bourdes cléricales sur le Paradis et l'Enfer. Sur l'Enfer particulièrement, dont la crainte, chez les démunis, est salubre au repos des riches. La « délivrance » qu'apporte au monde la Philosophie des Lumières concerne le « monde » seul, le monde des mondains.


L'entreprise prospérait. « Le monde se déniaise furieusement », observait le patriarche, allègre. Et de fait, dans les meilleures maisons de Paris, quand un prêtre, requis pour une extrême-onction obligatoire, demandait un crucifix, on ne parvenait à découvrir un de ces fétiches barbares qu'à l'étage des bonnes, sous les combles, ou chez un artisan du voisinage. Diderot, entre intimes, éclatait de joie : « Il pleut des bombes dans la maison du Seigneur. »


 

 


(A suivre)

 



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