Regards philosophiques (135)
Thème :
« Savons-nous vivre en société ? »
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Débat :
ψ Je retiens la distinction, qui me paraît judicieuse, entre morale et éthique, pour les liens qui nous unissent en société. La morale étant plutôt individuelle, elle devient l’éthique dans les applications par une société donnée, dans une époque donnée.
On a évoqué ce sujet d’actualité qui divise la société, « le mariage pour tous ». Pour les uns c’est du domaine de la politique, pour les autres ce problème relève exclusivement du domaine de l’éthique et nécessiterait une plus large approbation de la société.
ψ Dès les premiers hommes, chaque tribu a fait une société avec ses usages, ses règles pour survivre. Lorsqu’il fallait chasser un très gros animal, il a fallu qu’ils se groupent. Déjà, l’union faisait la force.
ψ Dans le roman de Roy Lewis Pourquoi j’ai mangé mon père*, nous voyons un petit groupe d’homo sapiens qui ne pouvaient survivre qu’en s’alliant à d’autres tribus ; pour créer encore plus du lien et une sécurité, ils innovaient alors par l’exogamie. C’était bien avant « le mariage pour tous » ! (* Déjà cité dans le Café-philo du 22 février 2002.)
ψ Si je reprends l’intitulé de la question, est-ce que vivre en société est une question de savoir ? Depuis notre naissance, nous ne sommes guidés que par des règles inculquées. Nos règles sont aussi de l’ordre de la conduite personnelle.
ψ C’est là une question de personnalité. Des gens veulent vivre en société, d’autres ont du mal à faire société, d’autres s’en éloignent. Quant à ceux qui s’impliquent dans la société, dans les associations, ce sont presque toujours les mêmes.
On voit aussi des personnes qui ne se rapprochent d’un syndicat que lorsqu’elles ont un problème et qui ensuite s’en détachent très vite ; cela s’appelle de l’opportunisme et c’est difficile de faire une société avec de telles personnes.
ψ Il y a des gens qui servent la société et il y a des gens qui s’en servent.
ψ Toujours se pose le problème : quelle société voulons-nous ? Quelle serait la société capable d’agréger tous les individus ou presque en un groupe digne du nom de société évoluée ? On en revient à cette célèbre expression du « bien-vivre ensemble ». La société et son modèle sont toujours à défendre, toujours à réinventer, mais on ne construit pas sur le vide. C’est pour cela qu’il y a ceux qui transmettent, des usages, de l’histoire, de la mémoire commune. « L’homme détermine la société et non l’inverse », a écrit le professeur de philosophie Cai Chongguo.
Savoir vivre en société, c’est déjà l’aspect civique. C’est respecter les lois, c’est respecter les usages du vivre ensemble dans le pays qui est le nôtre ou le pays dans lequel on a choisi de vivre. C’est le minimum de savoir vivre, c’est l’éducation, c’est le respect de l’autre. C’est pouvoir s’entendre, pouvoir se supporter, et c’est aussi savoir trouver la bonne distance par rapport aux autres. Le philosophe Schopenhauer nous en donne une image avec l’histoire des hérissons qui, lorsqu’ils ont froid, veulent se rapprocher, mais alors là ils sont victimes de leurs piquants ! Il leur faut donc toujours choisir la bonne distance. C’est là aussi les règles du bon voisinage.
ψ La société demande de respecter les lois, mais nous savons que la Révolution a fait de la désobéissance civile le plus sacré des droits*. C’est parfois en ne respectant pas les lois que certains ont fait avancer cette société. (* Article 2 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789).
ψ Dans notre société, ce qui compte c’est la singularité. L’individu ne se laisse pas saisir dans une courte formule. Il y a quatre types d’humains. Il y a ceux qui regrettent ce qui n’existe plus. Il y a ceux qui regrettent et qui en même temps sont en vie. Il y a ceux qui vivent dans une société qui n’existe pas encore. Il y a ceux qui entrevoient la société future. Il est difficile de trouver le modèle qui convient aux individus dans leur temps de vie.
Donc, plus on invente, plus on évolue, plus on a de possibilités, plus on a de savoir, plus se posent les problèmes de l’attitude envers ses semblables, plus devient difficile le choix professionnel et l’emploi. De fait, l’humanité dépend de l’amour dont nous sommes capables.
(A suivre)
Extraits de restitution d'un débat du café-philo
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.