Roman : La rivière savait… (29)
En ce jour d’avril, il y avait un monde fou en l’église d’Adé, trop petite pour accueillir cette foule immense qui débordait vers l’extérieur.
Les parents d’Élise, prévenus par Laurent, étaient venus chez nous le jour même du drame et ils étaient restés à nos côtés.
Très tôt, ce matin, Louis et sa famille nous avaient rejoints à la maison.
Nous étions arrivés à l’église un peu avant 10 h 30, heure convenue par l’abbé Lucas.
De sa voix grave et de son air solennel, ce dernier avait parlé de Mamilou, disant avant tout, qu’il y a des gens dans la vie qu’on est heureux et fier d’avoir pu côtoyer.
Il y avait des cousins plus ou moins proches, les amis, les voisins, adéens et villageois des alentours.
Laurent avait sa tête penchée vers le sol, son regard fixe et résolu, peut-être pour ne pas pleurer ? Voulait-il cacher sa peine ?
Mon oncle Louis avait perdu ses yeux rieurs. Profondément ému, il se mouchait souvent. Auparavant, je n’avais jamais vu un homme pleurer et je trouvais cela très éprouvant. Il était extrêmement touchant de voir ce grand gaillard avachi de la sorte, ne pouvant assécher ses larmes. J’ai eu si mal de soutenir ce regard mâtiné de peine que mon coeur a débordé.
Pierre, lui, serrait ma main de temps en temps, comme pour signifier qu’il était là.
Jamais l’orgue ne m’avait paru aussi désespéré qu’en ce jour de deuil où nous accompagnions Mamilou vers sa demeure éternelle.
A l’entrée du cimetière, le ciel s’était éclairci et les nuages dansaient au rythme du vent.
En versant l’eau bénite sur son cercueil, je repensais à ma lettre.
Allait-elle me faire un signe ?
C’est alors que je remarquais, face à moi, un nuage poudré d’écume tracer la lettre M dans le ciel d’azur du midi.
M comme Maman, Mamilou, Malakhi ? J’avais tant et tant de deuils à faire !
Je compris alors qu’elle avait franchi le mur de l’impossible et qu’elle était bien arrivée.
J’avais pu, jusque là, contenir ma peine.
Mais à ce moment précis, là où la terre vient juste ensevelir définitivement la vie, j’ai succombé. J’ai senti tout mon être s’effondrer ...
Pierre enveloppe mon cœur orphelin de ses bras rassurants et je pleure.
Les nuages s’amoncellent... les giboulées viennent gifler le vent ...
Peu importe !
Elle peut tomber la pluie, elle peut tomber sur moi,
Peu importe
Que le vent glisse sous ma porte,
Peu importe, puisque tu es là !
Quand l’éclat de ton regard
Déploie mes ailes sous le phare
De la lune libertine
Dans la douceur d’une couche divine
La fièvre étourdissante de tes bras
Qui m’engage à n’aimer que toi
Laisse venir un fado dont la mélancolie
Dessine l’arc-en-ciel d’une embellie
Elle peut tomber la pluie, elle peut tomber sur moi,
Peu importe, puisque tu es là !
L’aurore se couche à peine sur la campagne éclaboussée de bleu
Les derniers rayons de soleil enjambent l’eau cristalline
Et l’onde translucide, animée de ses pépites d’argent
Épouse le bleu nuit d’un ciel clément
Qui me séduit
Me comblant de sa beauté immuable, à l’infini ...