Roman : La rivière savait… (35)
J’avais tant d’idées et de questions qui me trottaient dans la tête. J’étais songeuse. Je passais des heures sans rien faire, comme dans un état second. Je n’avais envie de rien. Je végétais. Laurent pensait que j’étais dépressive. Je le rassurais :
« - Je suis triste, parrain, mais ça va passer ! »
Je savais bien qu’il fallait me laisser du temps. Mamilou le disait souvent :
« - Il n’y a que le temps pour guérir les blessures, et puis ça cicatrise. Alors, on vit avec, différemment, seulement différemment ! »
Laurent m’avait accompagnée à la rivière. Il déposa le carton dans le trou qu’il avait creusé au pied de l’aulne. Je faisais mes adieux à Soumise. Personne ne pouvait rien à mon chagrin. J’avais demandé à Laurent de me laisser là quelque temps. J’étais restée seule à pleurer, à vider ma peine pour mieux la combattre.
Les jours suivants, je suis retournée plusieurs fois dans ce lieu propice à l’introspection. Soumise dormait sous terre, elle était là, mais c’était différent, seulement différent.
En ce début d’août, il y avait la fête au village. Pierre ne rentrerait certainement pas. Quant à moi, je n’avais pas l’humeur à aller au bal. J’étais juste venue me rafraîchir au bord du Rieutord, les pieds dans l’eau fraîche de la rivière. Je rêvassais. J’écoutais chanter le merle tout en observant la merlette qui venait de trouver un vers qu’elle tenait dans son bec.
Soudain, je sursautais. Un galet venait de faire quelques ricochets devant moi, avant de couler au fond de l’eau. Il y avait quelqu’un derrière moi ! Je me retournais quelque peu surprise.
Béni se tenait là. D’un sourire éclatant, il me dit :
« - Désolé de vous avoir fait peur ! Je passais par là et je vous ai reconnue. Alors je suis venu vous saluer. Comment allez-vous ? Puis-je m’asseoir un moment ? »
Je sentis mon cœur battre la chamade et je m’entendis répondre :
« - Oui, bien sûr, avec plaisir ! »
O Dieu ! Qu’il était beau dans sa chemise blanche légèrement ouverte, laissant entrevoir son torse bronzé et musclé.
Il m’intimidait. Je me sentais gênée. Je regrettais presque d’avoir acquiescé à sa proposition.
J’aurais voulu partir, mais les forces me manquaient. Il le vit sûrement.
Mais le dialogue prit place, et comme il parlait beaucoup, je me sentis plus à mon aise.
Tout en l’écoutant, je regardais l’eau. Cela me détendait. J’arrivais ainsi à me concentrer davantage sur notre conversation.
Il s’étonna de ne pas voir Soumise à mes côtés et me le fit remarquer.
C’est à ce moment précis que j’ai pleuré et qu’il a posé son bras sur mes épaules.
Il m’a baisé la joue tout en s’excusant d’avoir attisé ma peine. Je n’ai pas bougé.
Je n’ai rien dit.
Le temps s’est écoulé lentement, très lentement, étrangement comme pour mieux enregistrer chacun de ces gestes tellement denses émotionnellement.
J’étais abasourdie par la réalité des faits.
Je repensais à ce qu’ Élise m’avait dit une fois :
« - Écoute ce que ton coeur te dit et laisse faire la vie ! »
Puis, je me suis levée, prétextant que je devais rentrer.
« A demain peut-être ! », me lança t-il.
Mais le lendemain, je n’étais pas à la rivière, ni les jours qui suivirent.
On entendait les flonflons de la fête, la musique propulsée par le vent.
Élise me trouvait triste et songeuse et voulait me réconforter. Elle me disait :
« - Des jours meilleurs restent à venir. La vie est belle, elle t’attend ! »
La fête battait son plein. Je repensais à Pierre. L’an passé, il me faisait danser...
Que faisait-il à cet instant précis ?
Pensait-il à moi de la même façon ?
Rentrerait-il bientôt ? J’avais tant besoin de lui.
J’avais besoin de savoir si mon cœur battait toujours pour lui.
Cette idée soudaine et dérangeante me venait à l’esprit ces derniers temps.
J’en venais à douter de moi. Je n’avais encore jamais ressenti cela. J’avais toujours plus ou moins eu de l’assurance, je pensais me connaître suffisamment.
Est-on réellement maître de soi ?
Cette pensée me faisait peur. J’avais l’impression de ne plus avoir les pieds sur terre.
Je perdais le contrôle de moi.
Savez-vous la douleur d’un tel ressenti ? Et comme c’est éprouvant moralement ?
Je n’avais pas besoin de rajouter plus de tracas à mon moral déjà bien amoché.
Le coeur et la raison ne s’épousent-ils pas ? Je le croyais pourtant !
Que fallait-il que je fasse ?
Me laisser emporter par le désir et puis ensuite ?
J’étais désemparée.
Pour fuir cela, je n’irai plus à la rivière.
Il fallait que j’écrive à Pierre.
Seul exutoire à mon réconfort.