Regards philosophiques (194)

Publié le par G-L. P. / J. C.

Thème :

« Les guerres sont-elles inévitables ? »

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Introduction (suite) :

Il y a plusieurs  types de guerre. J’ai travaillé avec  l’ethnologue Robert Jaulin, qui, dans les années 1980, a fait valider, par le tribunal Russell le terme d’ « ethnocide » pour caractériser la guerre (qu’il appelait « la paix blanche ») menée, par les Européens aux Indiens d’Amérique latine. La guerre ethnocidaire, qui consiste à annuler, jusqu’à éradiquer les mœurs et coutumes de certaines sociétés, est tout autant un « crime contre l’humanité » que le « génocide » qui consiste à exterminer à la racine un peuple tout entier.
Ainsi, sous ses différentes formes, la guerre est un fait de civilisation : les anthropologues soulignent même que le développement de liens d’échange accentue le risque de guerre. Nous combattons les gens avec lesquels nous échangeons et nous échangeons avec les gens que nous combattons.
L’une des raisons est la proximité : il est plus facile de tuer le voisin que quelqu’un d’éloigné. L’autre raison tient à une constante historique et ethnographique : les disputes commerciales et les querelles résultant de mariages sont des sources très prolifiques de conflits et de vendettas. Plus des groupes interagissent, plus il existe de probabilité qu’ils se déclarent la guerre. Lawrence H. Keeley, anthropologue à l’université d’Illinois et auteur notamment du livre Les guerres préhistoriques [War before civilization, paru en 1996], a cette réflexion étonnante, en liaison avec ses recherches : « Je suis persuadé que la guerre existe non pas parce que nous serions naturellement violents, mais plutôt parce que nous sommes très intelligents, mais malheureusement pas assez intelligents pour ne pas la faire ».
Donc, la guerre est un fait de civilisation et a fortiori lorsque la civilisation est axée sur la compétition pour le profit. Comme on dit maintenant, il y a une culture de la guerre dans notre civilisation et a fortiori dans sa forme capitaliste. Cela nous remémore le jugement de Kafka : « La guerre est un prodigieux manque d’imagination. » Une civilisation où se multiplient les guerres est une civilisation sans imagination, sans inventivité pour elle-même et son futur. Elle n’a d’imagination que pour diversifier les guerres.
Notre civilisation en est arrivée au point où les humains veulent toujours plus de droits et c’est en ce sens qu’ont été mis en place la Société des Nations (SDN), prélude de l’ONU, et ses différentes instances, et aussi que les crimes de guerre ont été distingués des crimes contre l’humanité et que la peine de mort a été abolie dans certains pays. C’est ce qui peut se passer dans l’étape actuelle où dominent les guerres asymétriques, c’est à dire d’États armés contre des guérillas de fous de Dieu.
Mais, pour que le droit l’emporte, la condition est que se développe la démocratie. Ce n’est pas une utopie : c’est à notre portée. Cela nous implique chacun personnellement : veiller en permanence à ce qu’il n’y ait pas de manquement à la démocratie, « participer à », voire  proposer des réformes qui vont dans le sens de son approfondissement, modifier nos comportements, aussi dans ce sens (réaliser l’égalité entre tous et toutes, laisser la parole circuler, favoriser les prises de parole, cultiver l’argumentation, refuser les arguments d’autorité, etc.). Ce n’est pas une vue de l’esprit. Cela peut concrètement se faire.  Certes, la violence est en chacun de nous, mais aussi l’aptitude à coopérer et à communiquer pour atteindre des objectifs communs,  être solidaires et partager nos désirs. Sur la chaîne de radio France Inter, tous les jours à midi et demi, l’émission Carnets de campagne fait connaître de tels comportements individuels et collectifs dits alternatifs.
Donc, certes la guerre est une institution aussi ancienne que la civilisation humaine, mais aucune institution n’est éternelle. L’esclavage est une institution fort ancienne également et nul ne prétend qu’il sera avec nous jusqu’à la fin des temps.
Enfin, l’Europe unie n’est pas la cause de la paix, mais sa conséquence : les démocraties ne se font pas la guerre.
Je terminerai par notre responsabilité. Jusqu’à présent on considérait quelqu’un comme responsable seulement d’actes passés dont il était reconnu être l’auteur et qu’on pouvait dès lors lui imputer. Hans Jonas, dans Le Principe Responsabilité (publié en 1979), conçoit au contraire une responsabilité tournée vers le futur lointain. Quelque chose nous est confiée qui est essentiellement fragile. L’objet de la responsabilité, affirme Jonas, c’est le périssable en tant que tel. Il peut alors s’agir de la vie ou de l’équilibre de la planète. Mais il s’agit aussi de la démocratie. La démocratie est fondamentalement périssable. Sa survie dépend de chacun de nous.
Je terminerai par une sorte de syllogisme :
Quand il y a démocratie, la guerre est évitable.
Quand il n’y a pas de démocratie, la guerre n’est pas évitable.
Quand  et là où il y a des guerres, il n’y a pas de démocratie.
 

(A SUIVRE)

Extraits de restitution d'un débat du café-philo

http://cafes-philo.org/

Avec nos remerciements.

Publié dans culturels

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