Regards philosophiques (17)

Publié le par G-L. P. / J. C.

 

 

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Pourquoi raconter des histoires ? (3)

 

La philosophe, Edith : Si j’ai bien compris le conteur, Amadou H. B. nous enseigne une leçon de vie : « Il n’y a pas de petites querelles », il faut intervenir pour éviter qu’elles ne deviennent un feu ! Et ensuite, Guy Louis nous dit que des philosophes ont raconté des histoires, et pourquoi ? Est-ce pour donner des leçons de vie, comme le conteur ? Est-ce pour d’autres objectifs ? Quelles sont les raisons pour lesquelles les philosophes racontent des histoires ? Il y a matière à se poser la question, en vue de quoi nous nous raconterions des histoires ? En vue de quoi, je me raconte mon histoire ? Je vais traiter la première question  avec Platon. Parce que, Platon raconte des histoires ! Platon nous explique, pour aller vite, qu’une argumentation rationnelle ne suffit jamais. L’argumentation rationnelle vise à convaincre, mais l’homme est un être sensible ; il est à la fois, raison et sensibilité. Et donc l’argumentation rationnelle qui convainc doit être accompagnée d’une histoire qui persuade la sensibilité. C’est en ce sens que nous avons besoin du conteur, c’est en ce sens que nous avons besoin qu’il y ait des histoires qui nous soient racontées, c’est dans ce sens que nous avons besoin de raconter des histoires à nos enfants. Des histoires pour qu’ils entendent que les vérités qui peuvent être l’objet d’une argumentation rationnelle sont en effet des vérités.

Dans « La République » au § 6, Platon argumente qu’il y a plusieurs manières de connaître la réalité. Il y a la perception, l’imagination, et il y a la connaissance scientifique et la connaissance philosophique. Donc, il explicite en quoi elle consiste. En effet, il argumente en quoi chaque monde de connaissance permet d’atteindre la vérité de la réalité, aussi bien la vérité de la réalité que le scientifique cherche à connaître, que la vérité de la réalité de notre expérience et que la vérité de la réalité des valeurs qui sont les nôtres. Mais, cette argumentation exposée au § 6 est longue, difficile d’accès, et son interlocuteur lui dit : - « Je n’ai pas très bien compris ! ». Alors, au § 7, Platon raconte une histoire nommée : « allégorie de la caverne », dont il dit que c’est une image par laquelle l’argumentation rationnelle qu’il a explicitée auparavant va être traduite de manière à ce qu’elle touche nos sens.

En quoi consiste cette allégorie ? Tout simplement, c’est l’histoire selon laquelle nous sommes tous prisonniers de nos sens, prisonniers des opinions, prisonniers des idées dominantes, prisonniers des préjugés, bref ! Lorsque nous cherchons la vérité du monde, comment il existe, la vérité de l’univers, comment il fonctionne, la vérité de l’expérience vécue qui est la nôtre, situation sociale, situation économique, situation sexuelle, situation culturelle, nous sommes prisonniers de la situation dans laquelle nous nous trouvons, comme l’est le prisonnier dans la caverne qui a le cou attaché, les jambes attachées, et qui ne voit sur le mur de la caverne que la réalité d’un point de vue partiel et partial. Nous sommes dans une caverne, comme ici, et chacun a un point de vue partiel et partial sur la réalité. La réalité, elle est en dehors de la caverne, c'est-à-dire qu’elle est ce que nous pouvons connaître à condition de sortir de la situation dans laquelle nous sommes, à la condition de tourner la tête, à la condition de marcher à l’extérieur de la caverne et d’aller voir la réalité telle qu’elle est, à condition de ne plus voir la réalité de manière partiale et partielle, en fonction de la situation qui est la nôtre… Pour cela, pour voir la réalité telle qu’elle est à l’extérieur, il faut vouloir parler avec l’autre, savoir que l’autre a un point de vue partiel et partial lié à sa situation. Autrement dit, il faut vouloir dialoguer avec l’autre, connaître son point de vue pour voir que les points de vue de chacun  sont des points de vue parfois partiaux et partiels, singuliers, et que ce n’est que par le dialogue avec l’autre qu’on peut atteindre la vérité, la vraie réalité. Sortir de la caverne, c’est sortir de son appartenance, dialoguer avec l’autre et confronter son point de vue à celui de l’autre, c’est pratiquer ce que Platon appelle l’exercice dialectique, l’exercice philosophique, c’est philosopher, c'est-à-dire réfléchir avec l’autre  pour mettre en évidence  le fait que l’idée que j’ai sur la réalité est une idée qui est fonction de ma situation.

Platon expose donc cette allégorie de la caverne et son interlocuteur lui dit : «  Ah ! Cette histoire que tu me racontes, qui est celle de la condition humaine, me montre que tout être humain est capable, à condition de vouloir dialoguer avec l’autre, d’atteindre une vérité. Cette histoire que tu me racontes, me persuade ; je n’avais pas compris, mais maintenant je l’ai senti ! ». Autrement dit, Platon nous enseigne dans « La République » le fait tout simple que convaincre ne suffit pas : il faut persuader ; c’est à cela que servent les histoires ! 

 

 

(A suivre)

 

Avec l'aimable autorisation des animateurs, 

extraits de restitution d'un débat du café-philo

http://cafephilo.over-blog.net/

avec lequel je garde un lien privilégié

en tant qu'un des artisans de sa création.


 

Publié dans culturels

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