Regards philosophiques (21)

Publié le par G-L. P. / J. C.

 

 

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Pourquoi raconter des histoires ? (7)

   

 

Le conteur, Abbi : Dans l’éloge au conteur, vous donnez beaucoup d’importance au conteur. Si on prenait l’image du récit, on arriverait à une métaphore intéressante. La caractéristique de la transmission des récits (des récits de fiction) est que mon récit m’échappe dès qu’il est raconté. Cette fiction, comme tous les grands récits du monde, est là avant nous et sera là après nous. Le moment de la narration est un moment où le conteur et l’auditeur sont tous les deux sortis de la « caverne » pour s’extraire de leur univers partiel et partial à la rencontre d’un univers plus large qui ne sera révélé qu’en écoutant la fiction, et, là, les rôles sont très clairs. L’un est conteur, les autres auditeurs, mais le récit sera à tout le monde. L’art du conteur, pour moi, c’est cette connaissance du récit et cette possibilité qu’au moment de la narration s’ouvre en celui qui écoute la possibilité de s’emparer du récit et lui-même avoir tous les outils pour rentrer à son tour dans l’acte de narration. La grande différence avec le « storytelling », c’est qu’il ne s’agit pas de s’approprier des récits pour les imposer aux autres, mais que le récit serait le lieu du dialogue et qu’il autorise la sortie de la « caverne ». Cela demande à celui qui raconte d’être aussi humble que celui qui écoute ; c’est le récit qui prend toute sa place et l’humanisation du récit se fait parce qu’un humain s’en empare et le partage avec quelqu’un  ou avec les autres.

 

/ Raconter des histoires, c’est déjà pour se faire plaisir, pour faire plaisir. C’est la joie de partager un conte ; cela crée des liens dans un groupe ; c’est une identité qu’on se partage. C’est aussi la transmission sur plusieurs générations, un héritage en soi. Donc, cette identité du cercle familial, du cercle amical, c’est aussi du captif, de l’instructif, parfois moralisateur, des récits qui servent et à découvrir et à se découvrir. Dans mon activité, je raconte l’Histoire locale, c’est aussi de la transmission ; cela rejoint les histoires qui transmettent des messages. L’Histoire (avec un grand H) essaie de calquer au plus près de la réalité ; elle peut, si on l’habille, si on la transforme, servir de matière première à des contes.

 

/ Dans des ateliers d’écriture, on raconte des histoires, mais ces histoires demandent que la personne les supporte. Une histoire, en général, ne suscite pas trop de résistance. Elisabeth B., qui a lancé les ateliers d’écriture, explique que si, le récit peut être mythe, « un humain s’en empare et le fait partager aux autres ». Or, dans des classes d’écriture, il y a des enfants qui connaissent les pires difficultés : ils refusent tout à fait d’apprendre et, de plus, ont peur d’apprendre. Ceci parce qu’ils sont habités par des angoisses assez punitives. En même temps, c’est aussi des refuges identitaires, c’est à dire : « J’écris cela, c’est ce que j’ai à dire » ; cela peut être haineux. Puisque c’est un exercice d’écriture d’équilibre, comment se laisser aller à l’écriture libre si on a que de la haine, que des préoccupations sexuelles pour les adolescents, que des choses dures et crues à dire ? Est-ce qu’on peut faire partager ou non ? Ceux qui animent les ateliers d’écriture ont eu cette idée fulgurante de ne pas leur demander de parler, il fallait que d’autres personnes parlent à leur place. Donc l’enseignant devient conteur. Et qu’est-ce qu’il raconte ? Eh bien ! Des mythes ! Comme celui du Minotaure, par exemple. Après avoir réuni les élèves autour de l’histoire, ce matériau devient leur histoire ; on va leur demander de décrire, de dessiner leur labyrinthe et leur demander : – « Et ton labyrinthe à toi, comment il est ?  Y a-t-il une porte ? Sais-tu l’ouvrir ? Qu’y a t-il derrière ? » C’est l’histoire, dans un sens, qui leur parle d’eux.

 

 

 

(A suivre)

 

Avec l'aimable autorisation des animateurs, 

extraits de restitution d'un débat du café-philo

http://cafephilo.over-blog.net/

avec lequel je garde un lien privilégié

en tant qu'un des artisans de sa création.


 

Publié dans culturels

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