Témoignages (39)

Publié le par E. DE P.

 

 

 

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De l’amitié…     

 

Cela se passait vers 1958, au Nord de ce pays dont je suis originaire, à proximité de Guimarens, dans une commune rurale du nom de Piveden où mes parents étaient fermiers dans une propriété appartenant à l’une des riches familles de l’endroit.

 

          A cette époque la majorité de la population faisait partie de cette classe pauvre –et même parfois très pauvre- qui n’avait d’autre recours que le service du « seigneur » c’est-à-dire de la classe aisée bénéficiant du régime dictatorial du président Salazar. Ce régime moyenâgeux a persisté jusqu’en 1974, date de la « révolution des Œillets ».

 

          A l’époque de mon récit, les paysans n’avaient pour toutes ressources que le 1/4 de leur récolte, les ¾ revenant de droit aux propriétaires des terres. C’est dire dans quelle précarité vivait ma famille composée de 13 enfants dont j’étais l’aînée mais je dois dire que l’affection de nos parents compensait largement cet état proche de la misère matérielle que nous connaissions.

 

          Pour l’atténuer, mon père se prêtait comme « journalier » pour des travaux ponctuels et faisait aussi du commerce de bétail (chevaux, vaches…). C’est ainsi qu’il avait acquis deux superbes chevaux de race anglo-arabe qui participaient à des courses.

 

          L’un d’eux, de couleur grise, que nous avions baptisé « Grillon » m’était particulièrement cher. A dix ans, je le montais fièrement à cru car il était très docile et je n’avais nullement besoin de selle.

 

A proximité de nos champs, sur une route en contrebas, passait tous les matins un jeune homme qui, livrait du lait à nos voisins. Chemin faisant, il exprimait sa joie de vivre en jouant de la flûte. Il avait pris en affection notre cheval qui se laissait caresser le museau en poussant un hennissement bruyant de satisfaction.

 

          Cela dura plusieurs jours, plusieurs mois jusqu’à un certain jour où l’on ne vit plus passer le livreur. Plus de son de pipeau non plus ! Le garçon avait contracté une infection au pied provoquée par la piqure d’un hérisson d’autant plus inévitable que nous marchions toujours pieds nus n’ayant pas les moyens d’acheter des chaussures.    Cette infection lui valut une hospitalisation pendant une certaine durée au bout de laquelle on le vit revenir sur le chemin.

 

          Pendant son absence, Grillon avait manifesté une grande tristesse en se rendant tous les jours, à la même heure, à la rencontre de son ami dont il ne s’expliquait pas l’absence prolongée.

 

De nouveau, on entendit le son de la flûte et, en le revoyant, Grillon se mit à gambader joyeusement et à hennir encore plus fort sous la caresse de son ami retrouvé. Mais cela ne dura que quelque temps car l’infection que l’on croyait jugulée reprit de plus belle. Le garçon dût s’arrêter brutalement et… on ne le vit plus car on apprit qu’il était décédé de ce mal !

 

Cette fois, ce fut un coup fatal pour notre pauvre animal qui avait dû inconsciemment pressentir ce malheur et, pour lui, cet abandon définitif. Ce choc émotionnel provoqua chez lui un refus catégorique de toute nourriture. Il resta figé dans son mutisme. Rien n’y fit !

 

Histoire ancienne ? Oui et non.

Symbolique et noble, l’amitié ! Aujourd’hui comme hier !

 


 

 

 

Publié dans témoignages

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